Le choc des savoirs ! Un outil de discrimination sociale…

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Depuis que nous avons appris que le collège était le grand malade de l’éducation nationale, nous attendions avec impatience ce que le nouveau ministre allait nous annoncer pour remédier à cet état de fait. Si tout était déjà dans les cartons, Monsieur Attal faisait durer le suspens jusqu’à la divulgation des résultats de l’étude PISA 2022. Si ces derniers ne faisaient aucun doute, ils étaient le prétexte à une réforme d’ampleur visant à caporaliser davantage l’organisation de notre métier. Les résultats de PISA placent la France dans la moyenne de l’OCDE, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, au choix. Pour justifier ses choix, le ministre a choisi de voir le verre à moitié vide… S’il est une chose qu’on ne peut pas reprocher au ministre, c’est d’être un bon communicant. Est-ce que cela est à même de résoudre les problèmes de l’école ? Certainement pas ! Il s’est félicité de communiquer par mail auprès des enseignants avant de parler à la presse, quoi de plus normal ? Nous aurions pu tout de même attendre que le dialogue social « cher à notre gouvernement » soit enfin à l’ordre du jour et qu’il tienne compte de nos constats et propositions. Que nenni, les annonces était déjà prête et qu’importe le constat, l’idéologie du gouvernement prévaut sur quelque étude scientifique que ce soit. Alors, si PISA sert à légitimer cette réforme, regardons ce que nous dit PISA en réalité.

Les classes de niveau

Ce que nous pouvons lire dans le rapport PISA concernant la France, c’est que « La France est toujours l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socioéconomique des élèves et la performance qu’ils obtiennent au PISA est le plus fort ». Cette information passée sous silence par le ministre nous révèle que la reproduction des inégalités sociales en France est extrêmement importante et même une des plus importantes des pays de l’OCDE. Les valeurs de la république, chères à notre gouvernement, devraient nous amener à intensifier nos efforts sur ce point. Le rôle de l’école républicaine n’est-elle pas de réduire les inégalités de naissance pour, justement, éviter la reproduction sociale ? Pour répondre à ce défi majeur, Gabriel Attal nous propose d’organiser des groupes de niveau en mathématiques et français pour les classes de 6ème et 5ème. Une enquête menée par l’Institute of Education de l’University College de Londres indique que « Dans les classes de niveau plus faible, les élèves issus de milieux défavorisés étaient surreprésentés. (…)». L’annonce du ministre instaure donc un tri social dès la rentrée en classe de sixième dans les disciplines « français » et « mathématiques ». Le pari fait par le ministère est de réduire les écarts pour permettre un passage d’un groupe de niveau à l’autre. Qu’à cela ne tienne… Malheureusement, cette même étude tend à prouver qu’il existe un lien fort entre les classes de niveau et l’estime de soi et la confiance en soi des élèves. Avec une telle proposition, c’est donc la ségrégation sociale qui s’installe sans aucune possibilité de s’extraire de son milieu d’origine. Les études montrent également que ce que gagnent les « bons » élèves dans les classes de niveau est infime par rapport à ce que perdent les « mauvais » élèves. Nul doute que le niveau moyen ne pourra que baisser et que les prochains résultats PISA nous amèneront à des réformes encore plus sectaires.
En outre, l’organisation par groupe niveau permettra aux groupes les plus forts de progresser à un rythme supérieur que celui des groupes les plus faibles. L’écart entre chaque groupe ne cessera donc d’augmenter, au détriment de la possibilité d’envisager de passer d’un groupe à un autre.

Le redoublement

Le ministre a également annoncé la volonté de rendre la main aux enseignants concernant le redoublement des élèves. Les enseignants auront donc le dernier mot en ce qui concerne le passage des élèves dans la classe supérieure. Une telle annonce ne peut que nous faire penser au « c’était mieux avant ! ». Si cette mesure a déjà été utilisée auparavant, elle n’a jamais fait ses preuves et elle a un coût non négligeable d’environ 2 milliards d’euros qui ne semble pas être pris en compte par notre gouvernement. Et ce n’est pas nous qui le disons puisque l’éducation nationale publie un article sur son site avec le titre évocateur : « Forte baisse du redoublement : un impact positif sur la réussite des élèves ». Ils vont même jusqu’à écrire : « Cette politique a eu un effet positif sur la fluidité des parcours des élèves et leur réussite aux examens, mais cette évolution profite davantage aux milieux favorisés. À l’échelle internationale, la France demeure l’un des pays où le retard est le plus important et où la discrimination en fonction de l’origine sociale est la plus forte. ». Le gouvernement serait-il en train de se contredire ou ferait-il simplement de la démagogie électorale ? Il reconnait lui-même que le redoublement n’est pas une solution, mais que ses politiques successives sont discriminatoires. Loin de tenter d’y remédier, les yeux bandés, il continue sa fuite en avant. Dernièrement, la ligue des droits de l’enfant belge proposait une analyse intéressante (https://www.liguedroitsenfant.be/3477/le-redoublement-est-il-efficace/) qui corroborait l’impact nul ou négatif du redoublement. De façon empirique, on nous dira que laisser passer un élève dans la classe supérieure alors qu’il n’en a pas le niveau n’est pas lui rendre service, certes… Mais la question ne devrait pas se poser dans ce sens, mais il serait plutôt intéressant de savoir ce qui a été mis en place pour accompagner les élèves en difficulté. Et si les 2 milliards économisés par le redoublement étaient investis dans la remédiation pour ces élèves ?

Le DNB : sanction pour le lycée

L’annonce de l’obligation d’obtention du DNB pour accéder au lycée s’inscrit dans la même veine que le redoublement. Pourquoi devrions-nous laisser aller un élève au lycée s’il n’en a pas le niveau ? C’est une question que tout le monde se pose et particulièrement les enseignants concernés. Mais le leurre réside dans le fait que le ministre s’attaque encore une fois aux conséquences plutôt qu’aux causes. À qui interdit-on d’aller au lycée ? La réponse est sans appel : encore une fois au CSP les plus défavorisés. Plutôt que de s’attaquer à lutter contre les inégalités sociales, on organise le tri le plus tôt possible afin que ces élèves n’aient aucune chance de s’émanciper de leur milieu social d’origine. Et c’est encore une fois l’Éducation Nationale qui le dit :

La reproduction des discriminations sociales à l’école n’est donc plus à prouver, elle est flagrante, elle en devient éblouissante mais, même si les rapports de l’éducation nationale le disent, le gouvernement a décidé de faire comme si cela n’existait pas. Bien pire encore, il a décidé d’acter cette discrimination et de ne pas lutter contre elle. Elle fait partie de son corpus idéologique. La reproduction des inégalités est devenue l’emblème de la réforme Attal. Tout cela a bien évidemment été intégré de longue date par les élèves et leurs familles puisque selon un rapport de Nina Guyon et Elise Huillery pour Science Po Paris :

  • Les élèves d’origine sociale modeste ont une probabilité moins élevée de préférer la seconde générale et technologique que les élèves d’origine favorisée de même aptitude scolaire (-9 points de pourcentage en moyenne (…)). Inversement, ils ont une probabilité 71% plus élevée de préférer la voie professionnelle (+3 points de pourcentage), 133% plus élevée de préférer le CAP, (…).
  • Les élèves d’origine modeste en 2013 continuent d’être sur-sélectionnés à la sortie de la 3ème : à niveau scolaire égal, ils sont moins souvent orientés dans la voie qui accueille les bons élèves (la voie générale et technologique), et plus souvent orientés dans la voie qui accueille de moins bons élèves (la voie professionnelle).

Des manuels scolaires labellisés

Petite cerise sur le gâteau, le gouvernement choisit de se lancer dans la bataille idéologique des manuels scolaires. Avec la labellisation des manuels scolaires, c’est la liberté pédagogique des enseignants qui est remise en cause. Aujourd’hui, le seul repère pour les enseignants est le programme officiel de l’éducation nationale. Celui-ci est suffisamment précis pour cadrer les acquis attendus pour les élèves et suffisamment ouvert pour respecter le liberté de chaque enseignant de transmettre son savoir avec les méthodes et les supports qui lui paraissent les plus pertinents. Avec la labellisation des programmes, c’est la fin de cette liberté qui nous est imposée. C’est l’officialisation d’une méthode qui s’impose à tous et qui devient opposable pour quiconque voudrait remettre en cause notre enseignement. C’est un danger concernant la liberté pédagogique mais également un danger de judiciarisation du contenu même de nos cours. Malheureusement, ces dernières années, Jean-Michel Blanquer s’est attaché à supprimer de l’éducation nationale toutes les instances indépendantes pour les remettre sous la coupe du ministère. Le ministre aura donc le dernier mot sur le contenu des manuels. Si cela peut être inquiétant avec notre gouvernement ultra libéral soumis aux dictats du capital, qu’en serait-il si les prochaines élections venaient à nous rappeler les heures les plus sombres de notre histoire ? Si on prend un peu de recul, dès que le ministère a voulu s’occuper d’imposer des méthodes et de labelliser des pédagogies, cela s’est traduit par des drames. On l’a observé notamment avec l’apprentissage de la lecture dans les écoles primaires où les aller-retours incessants ont mis dans l’embarras de nombreux enseignants et ont mis en périls l’apprentissage de diverses cohortes d’enfants. La liberté pédagogique, le choix des supports, le choix des méthodes doit rester une de nos prérogatives. Nous sommes des professionnels de l’éducation et personne, mieux que nous, ne connait nos élèves, leurs capacités ou leurs besoins.